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Dernier Entalquement pour Clystère
Richard Calmar

Les jambes dans le vide, Bobbette De Moor attendait que le brouillard se lève. Le fond de la vallée commençait à se brouiller, et c'était un bon présage, mais le poil de postérieur qu'elle tenait à la main ne frémissait même pas.

Après de longues heures à dépister les changements de couleur sur les briques des bâtisses couvrant la Croix-Rousse, Bobbette se remémora Fartzen, le centaure pétomane qui l'accompagnait lors de ses prestations en cuisine moléculaire. Elle programmait l'évolution des beignets en religieuses pendant que l'hybride interprétait une délicieuse mélodie olfactive. Acide, douceur des gaz controlés avec une maîtrise que la foule concluait en une ovation éructatoire. Ah, nostalgie du passé qui passe sans rester... Et du reste, peut-on s'en passer ? Du passé passé, bien entendu ?

Ou n'est-il que des sourds lorsque l'ondée nous rafraîchit de perles de printemps arrachées au désespoir du temps ?

Bobbette secoua ses boucles, éclaboussant l'atmosphère d'une humidité anodine. Là, ça y était : la brume se dispersait sur les toits anguleux. Et voila qu'elles sautaient sur leurs pattes musclées, hypertrophiées, trois autruches insubstantielles, les ailes vaporeuses, le cou dressé au-dessus du brouillard, trois autruches autour desquelles crépitait un halo d'énergie taxidermique. Trois autruches qui n'avaient rien d'hallucinations.

Fascinée, Bobbette De Moor laissa la tension de son torse se relâcher, puis elle remit le poil de postérieur entre ses seins. En bas, plus près du fleuve, ses beignets mutatoires l'attendaient. Malgré la modelisation de leurs contenus, les objets semi-conscients tendaient à échapper à son contrôle. Lasse de devoir réajuster leurs paramètres alléliques, elle pensait les offrir a sa mère-grand qui périssait de faim en Afrique de l'Est.

Chemin faisant, elle eut de nouveau une pensée pour Fartzen. Une fois, tous deux avait failli consommer, car l'ardeur et le désir les habitaient. Mais plus funeste que la trahison, une malédiction les avait empéches d'assouvir leur passion. Dans l'obscurité d'une chambre de motel, juste après le premier attouchement, ils avaient dû rallumer la lumière. L'un et l'autre étaient chatouilleux au contact de l'épiderme de l'autre. Puis Fartzen avait decidé de se retirer de la scène. Il s'était fait couper la queue, le symbole de sa puissance rectale.

« Bette, ce sera mon dernier message. Je me suis fait talqué, je vais me dédier à Clystère.»

Et voila, les beignets ne mutaient plus correctement. Elle-même ne parvenait plus à imaginer leur goût, alors même qu'elle pénétrait dans le petit appartement qu'elle avait baptisé Mendeleiev, par dérision. Oui, il y avait bien de quoi rire, en fin de compte. Un amant pour lequel elle vouait un amour sans fondement. Et toujours ces autruches dans la brume qui lui soufflaient, sans fromage : Pars, rejoins-le. Peut-être bien allait-elle céder, s'abandonner au talc et a Clystère. Par amour pour un centaure pétomane qui n'en avait sans doute cure.

Tous les équidés se ressemblent.

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