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Le Hips
Guillaume Asperge

Grâce au flair de notre vaisseau, nous nous sommes posés sur Leo VI, dans un système réservé à la diaspora lyonnaise.

Comme l'indiquait la rumeur, la planète est très cosmopolite. Toutes les variantes d'humanoïdes s'y trouvent rassemblées. Les mœurs sont inventives, et même débridées.

L'ensemble inspire indolence et légèreté.

Aucun désir ne semble insatisfait. Le voyageur voudrait exprimer des besoins, mais on lui offre déjà boissons, nourritures, spectacles et chairs, tous appétissants, sélectionnés avec exigence.

Ces gens « savourent. »

« Voici la Mère. »

Ainsi me présente-t-on enfin un responsable de la planète. Son corps est énorme, elle possède quatre bras aux mains boudinées. Des gnomes bleus grouillent contre ses flancs.

Elle projette l'un d'eux vers moi mais ne prononce pas un mot.

Le gnome remplit aussitôt un verre à son nombril et me le tend. Je déguste un beaujolais du meilleur cru.

« Je suis le Hips, dit il. Je suis là pour vous abreuver. »

Il veut tout savoir de moi et sait s'y prendre pour me délier la langue. Il est capable de sécréter les plus succulents nectars, de l'ambroisie au népenthès en passant par le Nuits Saint-Georges. À vrai dire, il n'y a rien d'autre à en tirer.

Enivré, je me laisse entraîner dans les rues de la capitale.

Le Hips s'est pelotonné sur mon dos. J'observe des bosses bleues sur toutes les échines, qu'elles soient concaves, convexes, ou crénelées.

« Le Hips est là pour t'être agréable, m'explique-t-on. Il existe un Hips pour chaque créature. »

Sur une place se déroule un holodrame. L'être compassé qui descend du ciel me rappelle le vieux bedeau de la cathédrale de Fourvière. Aussitôt, mon Hips bondit. Je n'avais pas fini de remplir mon verre, mais je ne lui en veux pas. Il a saisi un bâton et cogne à deux mains sur l'infortuné. La foule applaudit à tout rompre.

« Mais c'est Guignol ! »

J'ai dû en parler sans m'en souvenir. Mon Hips me tend un verre de Saint-Joseph et je demande :

« T'es tu déjà rendu sur Terre ?

- Il y a toujours eu des Hips. Il y aura toujours des Hips. »

J'aime cette planète, je m'y sens bien, je « savoure » sans me lasser.

On me rappelle auprès de la Mère. Mon Hips s'approche aussitôt de l'énorme et muette matrone.

« Un Hips ne survit qu'à portée de la Mère, se mettent à chanter les gnomes. Amenez d'autres voyageurs. Depuis la nuit des temps, nous accueillons les vrais connaisseurs et nous consommons leurs histoires. » La Mère saisit mon Hips entre ses quatre mains et le porte à sa bouche. Avant d'être engloutie, la tête du Hips prononce ces paroles :

« C'est le meilleur cadeau que vous puissiez nous faire. Un autre Hips vous attend déjà. »

« La digestion de la Mère durera un an de Leo VI, » précise un gnome bleu.

Et tous reprennent en chœur :

« Voyagez maintenant, et revenez nous vite. »

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