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Morpions dans les spaghetti du Centre
Jean-Louis Strudel

1

Le Pardieux orbitait à une distance moyenne de cent cinquante millions de kilomètres d'une étoile jaune de type G2, soumise aux importantes réactions nucléaires génératrices de chaleur et de vie sur le vaisseau. Mesurant plusieurs centaines de mètres de long, le spationef ressemblait à un cube, surmonté d'un crayon géant.

Stella avait rendez-vous dans la pizzeria De Lard, au niveau le plus bas du vaisseau. Elle venait d'effectuer une recherche sur Internet à propos du concept du « bar allemand », axée sur les caractéristiques gustatives des vins proposés et de leur relation sémantique avec le thème du spectacle musical ou théâtral présenté. Elle eu soudain l'impression qu'un tremblement de terre secouait le vaisseau. Le capitaine lui tapait juste sur l'épaule pour lui signifier sa présence.

Le menu leur fut présenté sur un carton jauni et plastifié. Le capitaine opta pour une pizza aux fruits de mer, tandis que Stella estimait que les spaghetti lui permettraient de conserver la majeure partie de l'énergie et des calories pour les efforts qu'elle aurait certainement à produire dans l'après-midi. Elle avait prévu de faire un peu de shopping et les escalators du vaisseau seraient statistiquement en réparation pour le reste de la journée.

Les plats furent livrés sous Cellophane. Le capitaine remarqua quelques pliures dans le plastique, certainement dues à un choc un peu trop violent en cuisines.

« Mais ça bouge là dedans... », articula-t-elle sous l'effet du choc.

« Les fruits de mer ont également un air vivant !

- Alors, ça expliquerait la présence du plastique.

- Oui, en le soulevant, j'aurais provoqué le réveil de la nourriture. Mais c'est affreux, les spaghetti sont aussi entortillés que les filaments d'Acide Desoxyribo Nucléique dans le noyau de n'importe laquelle des cellules de mon cerveau.»

Elle s'aperçut que personne ne l'écoutait malgré l'intelligence qui émanait de sa dernière prise de parole. Le capitaine était absorbé par l'étude du mouvement pendulaire de l'antenne de la crevette. Son téléphone portable sonna, et il entendit dans un français médiéval plus que douteux « Cherche Blasons Alliés, tu piges, mec ? » Curieusement, le numéro de l'appelant ne s'était pas affiché. Cela ne pouvait pas venir de la crevette, dont les antennes s'immobilisèrent soudain, comme si elles attendaient une réponse. Stella était absorbé par une forme noire qui grandissait à travers ses pâtes, un peu comme le trou d'un ver de terre, scientifiquement appelé lombric, dans une pomme.

Ils étaient l'enjeu d'une bataille qui les dépassaient. Pour se changer les idées, ils se téléportèrent au niveau supérieur du Pardieux, et s'évadèrent dans la salle de réalité virtuelle UGC2 réfléchir au problème en regardant La grande vadrouille. Le film terminé, ils partirent à la recherche d'une aide extérieure. Il fallait faire appel à Twingo, l'IA du vaisseau, afin qu'elle simule le plan d'invasion des spaghetti.

2

Je m'appelle Stéphane Auchine. Je cherche mais ne trouve pas. Je vais me suicider, c'est la seule solution.

3

Stella et le Capitaine se retrouvèrent dans un salon de thé du niveau 3.

« Alors, où en est la simulation ?

- Il s'est tué dans un accident de poussette, à l'âge ridicule d'un an où l'on ne connaît pas encore la définition des crevettes.

- Il ne peut être question de suicide.

- Si. Son père lui a expliqué hier ce qu'était un objet de Guignabaudet-Bonnetier. Il a pris peur et a décrété que la vie ne valait pas la peine d'être vécue.

- Que peut-on faire ?

- Je vais demander à Twingo de lui redonner vie, et prendre le rôle de baby-sitter.»

4

Stéphane, petit gône de trois ans, regardait la Petite Sirène. Il revenait d'une longue ballade au Parc de la Tête d'Or, pendant laquelle Stella l'avait initié à la zoologie. Seul, le théâtre de Guignol l'avait intéressé. Il se souvenait vaguement du goût de la glace au citron, mais il aurait préféré celle à l'orange. Malheureusement, il n'y en avait plus.

Il aimait beaucoup Stella. Elle était gentille, mais il ne comprenait pas pourquoi elle se fatiguait à lui donner des explications quand il ne posait pas de questions. Elle devait d'ailleurs avoir un problème avec les crevettes et les morpions, qui revenaient constamment dans la conversation. Pour qu'elle lui fiche la paix et le laisse réfléchir, il regardait la petite sirène, en se sentant observé par sa nourrice au sourire benêt. Pendant ce temps, il pouvait penser à des tas de choses plus sérieuses.

5

Stella, qui avait gardé son superbe T-shirt à l'effigie de Sheila, retrouva le capitaine au niveau supérieur du Pardieux. « Alors, le bébé, comment progresse-t-il ?

- Il pense que tous nos problèmes viennent d'un objet de Guignabaudet-Bonnetier.

- Comment ça ?

- C'est simple, en regardant la Petite Sirène, il découvrit qu'il était face à une importation américaine, et que seul, un corps noir très puissant pourrait interdire aux enfants du monde entier de bénéficier de ce genre de produits.

- Mais, lui avais-tu parler de racisme avant ?

- Non, il ne sait pas ce qu'est un objet de Guignabaudet-Bonnetier, mais en a deviné les effets, un peu comme les astronomes ont découvert les trous noirs, aussi appelés corps de Schwarzchild, sans en voir dans leur télescope, mais en mesurant les caractéristiques des étoiles proches.

- Il n'est donc pas étonnant que la nourriture italienne ou américaine du vaisseau soit la première à être touchée.

- Oui, et regarde ces taches à tes pieds. On a l'impression que le vaisseau entier est victime de termites.»

6

Je suis amoureux de Stella. J'ai l'impression qu'elle n'a pas changé depuis que nous regardions Walt Disney ensemble. Elle m'aide à réviser mon bac. Aujourd'hui elle ne m'a laissé qu'un couriel, me demandant de réfléchir sur la manière d'éradiquer un objet de Guignabaudet-Bonnetier.

Elle avait ajouté un petit indice : imagine des insectes qui détruiraient tous les éléments de construction étrangère d'un vaisseau. Perdait-elle la tête ?

Face à des insectes, il fallait employer l'insecticide approprié, en sachant que cela polluerait l'air et que certaines entités risquaient de développer une accoutumance au produit.

Face au racisme, les arguments font effet dans un premier temps, puis les individus les plus forts les utilisent en leur faveur, en critiquant par exemple l'intolérance ou la censure pratiquées par leurs adversaires. Peut-être pourrait-il suggérer à Stella que la meilleure solution est de ne pas réagir, d'écraser du pied un insecte de temps en temps, en se disant que lorsqu'ils n'auront plus rien à manger, ils partiront ?

Cette solution semblait un peu risquée, mais l'indifférence semblait l'arme la plus sure à long terme contre un objet de Guignabaudet-Bonnetier.

7

A chacune de ses visites, Stella se demandait si cette nuit passée dans le lit de Stéphane serait la dernière. Est-ce que Twingo ne poussait pas trop loin la simulation ?

Sur le vaisseau, rien n'allait plus. Le conseillé directionnel, nommé Charles Mions, avait succombé à l'objet de Bonnetier-Guignabaudet, malgré l'intervention de nombreux secouristes vers l'infirmerie Bel-Cour.

Les insectes se faisaient de plus en plus envahissants. Les passagers n'avaient pratiquement plus rien à se mettre sous la dent, le passage du pont vers la coursive Paul Bert fut le plus touché.

Devraient-il vraiment suivre les conseils de Stéphane ? Le vaisseau était proche de l'agonie. Il y faisait de plus en plus chaud. Comme un trou noir, l'objet pourrait bien les attirer, et il leur serait alors impossible d'en échapper. Beaucoup songeaient au suicide. Stella était confiante, car les insectes avaient également de plus en plus de mal à s'alimenter et à respirer. Au bout de six jours, il n'en resta plus aucun. Tout était à reconstruire, et il faudrait faire appel à des mains extérieures, mais l'objet de Guignabaudet-Bonnetier s'était volatilisé, en tous cas on n'en verrait plus les effets.

Twingo avait été bien endommagée. Stéphane avait disparu. Stella versa quelques larmes, puis oublia.

Le vaisseau s'était posé sur l'astéroïde Tonk1 pour effectuer les réparations les plus urgentes. Tout l'équipage se retrouva au kebab local.

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